De temps en temps, par regain de nostalgie, Paloma
ressortait ses photos de classe. De la maternelle à la terminale, il ne lui en
manquait qu’une. Le jour de la photo, ce fameux moment où les parents vous
affublaient de tenues considérées comme le must de votre garde-robe, elle
devait être souffrante et il n’avait donc pas été jugé utile de la prendre. Sur
les clichés, on pouvait suivre l’évolution depuis les rondeurs de l’enfance aux
traits d’une jeune adulte en passant par le sourire timide, encombré par un
appareil dentaire qui redressait les dents et boursouflait les lèvres.
Paloma avait deux photos de la classe de troisième.
Une première sur laquelle elle se montrait souriante, le regard tourné vers
Stéphane. Sur la seconde, Paloma redoublait et Stéphane avait suivi sa mère en
Martinique suite au divorce de ses parents. Son départ avait été une déchirure.
Stéphane avait débarqué en métropole la rentrée précédente. Venant d’un village
au nom poétique, ce fut un choc d’arriver dans un grand collège de la région
parisienne. Dès le premier jour, lorsque les élèves attendaient pour regagner
les classes, Paloma avait repéré Stéphane qui se tenait à l’écart des autres.
Un visage qu’elle ne connaissait pas et qui lui plut aussitôt. Quand la sonnerie
retentit, elle constata avec joie que cette nouvelle tête se dirigeait, tout
comme elle, vers la 3ème C. Les deux élèves ne tardèrent pas à se rapprocher.
Une amitié qui s’était vite transformée en quelque chose de plus fort. Ce
devait être ce que l’on appelait l’amour. C’était la première fois qu’elle
ressentait cela.
Tout fut formidable, jusqu’à ce que Stéphane annonce
que l’an prochain, rien ne serait plus pareil. Le déménagement aurait lieu
pendant les grandes vacances. Il y avait eu les promesses que l’on fait à
chaque fois « je t’écrirai », « je ne t’oublierai pas », « la distance ne nous
séparera pas ». Paloma avait écrit un temps. Sans réponse. Elle avait fini par
abandonner. Pour elle, il était clair que Stéphane l’avait déjà oubliée. Paloma
restait le cœur béant dans cette classe, où en temps que redoublante, plus
aucun visage ne lui était familier. Au début, en rentrant le soir, elle jetait
son sac à dos dans l’entrée et criait à l’adresse de sa mère : « j’ai du
courrier ? » La réponse était toujours négative.
Des années plus tard, Paloma faisait le vide dans la
chambre de son enfance puisque ses parents avaient décidé de prendre leur
retraite au Portugal. Elle était retombée sur les fameuses photos de classe.
Elle se demandait ce qu’ils avaient tous bien pu devenir. Il y avait un moyen
de le savoir. Sur les réseaux sociaux, elle avait retrouvé plusieurs de ses
anciens camarades. Elle entra les lettres formant l’identité de son premier
amour dans la barre de recherche. Elle tomba sur une quarantaine de résultats.
Elle put en éliminer une grande partie grâce aux photos. Il en restait cinq
sans photo de profil. Elle envoya des messages, des bouteilles à la mer,
demandant à ce qu’on la recontacte si son nom leur disait quelque chose.
Paloma,
comment vas-tu ? Reçut-elle
quelques jours plus tard.
Ce fut plus
fort qu’elle, dès les premières lignes de sa réponse Paloma demanda pourquoi
elle n’avait pas eu de réponse à ses lettres.
Je n’ai
jamais rien reçu…
Comment
était-ce possible ?
Quelques
temps plus tard, Stéphane recontacta Paloma.
Je sais
pourquoi… lut Paloma
en ouvrant sa boîte mail un matin. Appelle-moi disait encore le message
avant de citer un numéro de téléphone. Malgré le décalage horaire, Stéphane
décrocha aussitôt et lui raconta sa découverte.
À la mort
prématurée de sa mère, Stéphane avait entrepris un tri dans ses affaires. Au
fond de sa penderie, il y avait une boîte. Elle renfermait un tas de lettres
adressées à Stéphane. L’écriture ronde était celle de Paloma. Pendant toutes
ces années, les mots étaient restés enfermés. Stéphane n’avait jamais accès à
la boîte aux lettres. Sa mère gardait la clé attachée à son trousseau de clés
et travaillant de nuit, elle était toujours à la maison lorsque le facteur
passait. Elle avait donc pu subtiliser toutes les lettres venues du continent.
Lorsque Stéphane eut des nouvelles de son père, le sujet fut abordé. Il lui
répondit après un long soupir « c’était pour ton bien ».
Ce que
Paloma avait toujours tu à se parents, c’est que son Stéphane était en
réalité une fille. Elle avait bien compris que pour ses parents deux filles qui
s’aimaient, ça ne passait pas. Elle n’avait pas oublié la fois où dans un film,
il y avait eu une scène entre deux femmes qui s’embrassaient. Aussitôt, son
père avait dit « éteins-moi, ça. C’est répugnant ». Il ne disait pas ça quand
il s’agissait d’un homme et d’une femme. Aussi lorsque sa mère avait demandé :
« Quand est-ce que tu nous présentes ton Stéphane ? », elle avait bien compris
que ce ne serait jamais.
Comment ses
parents avaient-ils appris la vérité ? Ce fut de la bouche de Magda, sa petite
sœur, qui pendant un voyage de classe de son aînée avait sorti innocemment «
moi aussi, j’ai une amoureuse ! » La petite à qui rien n’échappait avait
surpris sa sœur échangeant un baiser avec une fille lorsque sa classe
traversait le parc pour se rendre au gymnase.
Pour les
parents de Paloma, il était hors de question de laisser les choses se
poursuivre. Ils prirent contact avec les parents de Stéphane. Du côté de ces derniers,
en plein divorce, ce fut l’occasion d’un énième règlement de comptes.
- Si tu n’avais pas appelé ta fille
Stéphane…
- Je te rappelle que c’est NOTRE fille et que c’est un prénom mixte. Tu étais d’accord!
- Alors qui lui a mis ces idées dans la tête ? Hein ?
- Certainement pas moi.
- Et ta cousine Victoire… Elle vit toujours avec cette femme ?
- Arrête, Stéphane n’est même pas au courant !
- Je te rappelle que c’est NOTRE fille et que c’est un prénom mixte. Tu étais d’accord!
- Alors qui lui a mis ces idées dans la tête ? Hein ?
- Certainement pas moi.
- Et ta cousine Victoire… Elle vit toujours avec cette femme ?
- Arrête, Stéphane n’est même pas au courant !
La dernière
fois que Paloma et Stéphane s’étaient vues, elles avaient 14 ans. Deux fois
l’âge de raison. Elles avaient découvert qu’il était permis d’aimer, mais pas
n’importe qui.
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